Dimanche ordinaire, rame ordinaire de la ligne 14. Des gens également ordinaires, sauf un. Il est plus grand, plus massif, il beugle plus que les autres et surtout, il est plus ivre que les autres. La cinquantaine imbibée de Ricard, il s’accroche péniblement à la barre du métro. « Les Chinois vont nous bouffer, je vous dis putain de Chinois, et les Juifs, et les Arabes, blabla », crache-t-il son venin et son haleine infecte. Au moins, il ne discrimine personne…
Le pire n’est pas ce que le pochtron raconte. « Finalement −comme diraient les adeptes du Front National et autres sympathiques formations politiques (droite populaire, droite pain au chocolat)− il dit tout fort ce que les autres pensent tout bas. » Mon fessier, oui. Le pire c’est qu’autour de lui, pas de mines de dégoût, même pas un petit « ta gueule ». Les autres passagers rient.
Ils ont peut-être raison. Il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Ils le prennent sans doute pour un fou, pour un malheureux qui croise trop souvent les unes de certains hebdomadaires qu’on ne nommera pas. D’accord, nommons les : le Point, l’Express, le Nouvel Obs. Mais on s’égare et ce n’est pas sympa avec les collègues. Le moustachu nous attend.
« Quand je suis arrivé, il y a des années, on venait travailler dur et on se taisait. » Visiblement, l’homme à la veste verte ne se tait plus. En fait, c’est la vielle histoire de l’immigrant qui est horripilé par la nouvelle vague d’immigration. Classique. Mais rageant tout de même.
« Cállate la boca borracho »
Le métro arrive à son terminus, Saint-Lazare. Il n’est pas encore épuisé, les autres oui. Il emprunte les escaliers et continue à vomir son dégoût. Enfin, quelqu’un s’exprime : « Cállate la boca borracho ». Tiens, la voix de la raison parle espagnol. Ça a dû lui plaire. Pas assez gerbant ? Allez, encore une histoire pour la route.
Nous sommes la même semaine. Apparemment, la deuxième quinzaine de novembre ne réussit pas à tout le monde. Le RER A s’arrête à Châtelet. Cette station voit passer des millions de personnes chaque semaine, et il fallait qu’on tombe sur celle-là. Elle est prête pour le ski : doudoune verte fluo (elle doit appartenir au même club que le mec de la 14), une chapka en daim, des Uggs aux pieds, des lunettes solaires qui couvrent la moitié de son visage. Le racisme ne se vit pas à visage découvert.
Elle trimballe ses vieux os dans le train. C’est parti pour le show : « Vous sortez tous de prison, vous voyez la hausse de la criminalité c’est vous. » Entre autres.
« Tu chies dans le Gange »
Comme d’habitude, tout le monde reste de marbre. Certains ont de la chance d’avoir des écouteurs greffés aux oreilles. Comme si ce qu’elle déblatère n’était pas déjà assez insultant, elle décide de s’en prendre à une dame assise toute seule : « Et toi, regarde-toi, tu vis dans le Gange, tu chies dans le Gange, tu nages dans le Gange ». « Parce que toi tu chies dans la Seine ? », ai-je envie de lui répondre. Je n’ose pas, j’ai peur de lui vomir dessus. Ce serait malheureux pour la doudoune.
Et encore un qui rigole dans sa barbe. La dame à qui sont adressées ces injures ne l’honore pas d’une réponse. Tant mieux. Ce délicieux personnage descend une station après, toujours en gueulant.
Deux conclusions :
- L’idiotie fait dans la parité.
- Les xénophobes décomplexés grouillent dans le souterrain, ce qui devrait valoir une compensation de la part de la RATP pour nuisance et atteinte grave à la paix mentale des passagers.